Sherwood

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SHERWOOD et les 900 vénérables

A une trentaine de kilomètres de Nottingham, les 350 000 visiteurs annuels découvrent les allées bien proprettes de la forêt de Sherwood. Drôle d’entrée dans le royaume de Robin des Bois. Quelques pas suffisent pourtant à enjamber huit siècles d’histoire. Les pieds s’enfoncent alors dans un épais tapis de feuilles mortes, de végétaux en décomposition et d’humus parmi les fougères. Au fil du temps, un voile d’épopée tissé par l’homme et la nature s’est posé ici. Il s’est accroché aux branches des bouleaux blancs d’Europe, couvre les cimes des chênes sessiles et pédonculés multicentenaires rescapés des défrichements successifs. Depuis un millénaire, les troncs caverneux des silhouettes biscornues résonnent de mystère. Au cÅ“ur du Sherwood Forest Country Park, qui recouvre 184 hectares de la réserve naturelle nationale, neuf cents chênes portent un numéro, gravé sur une petite plaque argentée : le sceau des vétérans, âgés d’au moins cinq siècles. Les deux tiers sont encore en vie. Les plus anciens auraient huit siècles, presque autant que Robin des Bois. L’esprit du prince des voleurs habite encore la forêt. Huit justiciables, au moins, se sont fait appeler « Robin hood » (Hood, Hod ou Hode) vers l’an 1300 : nom de famille très commun à l’époque, de même que le prénom Robin. Seule évidence, la légende est intimement liée à la forêt de Sherwood, en particulier à la région des Birklands.

I1 y a 800 ans, la forêt, sans être dense, s’étendait sur 40 000 hectares. Elle est aujourd’hui sévèrement réduite (222ha pour la réserve) et ses vieux troncs sont creux. C’est leur taille qui laisse penser qu’ils servaient de cachette aux voleurs de grand chemin, comme si les arbres
s’accrochaient à la vie pour témoigner de la véracité du mythe. « 300 ans pour croître, 300 ans pour vivre, 300 ans pour mourir. », un dicton anglais résume ainsi le cycle de vie du chêne. L’exploitation industrielle du bois au XVIe siècle, la modernisation de l’agriculture, l’extraction du charbon à partir du XIXe ont réduit la forêt à sa portion congrue. Entre 1609 et 1790, 80 % des chênes sont abattus pour construire les bateaux de la Marine royale et des maisons. « Si Robin des Bois traversait Sherwood, il aurait du mal à s’y réfugier, même une semaine. » ironisait Daniel Defoe, auteur de Robinson Crusoé.

Le Major Oak, comme tous les autres chênes anciens, est protégé par des haies en bois érigées en 1975, en même temps que la construction du centre d’accueil des visiteurs. Trois ans auparavant, les responsables s’étaient rendu compte que les plus hautes branches se mou-raient. La cause de leur dépérissement ? Le piétinement de 220 000 visiteurs qui tassaient la terre autour des arbres, empêchant l’eau de pluie et les minéraux provenant de la décomposition des feuilles mortes de pénétrer le sol et de nourrir les racines. Ces interventions devraient augmenter l’espérance de vie de 200 ans de certains chênes. Araignées (plus de 200 espèces), coléoptères, myriapodes ont élu domicile dans la vaste panoplie de micro-habitats qu’offrent les chênes centenaires. Ici, les arbres ont pris le temps de vivre, on leur donne celui de mourir. Un millier de petits invertébrés dépendent de leur lente agonie, une cinquantaine d’années une fois tombés à terre. Pour les oiseaux aussi, nicheurs permanents ou migrateurs d’été et d’hiver, la réserve naturelle est un refuge. Certains font l’objet de mesures de protection, comme le pipit des arbres. La forêt a sans doute perdu de sa superbe, elle n’en est pas moins fondamentale à la biodiversité britannique malgré sa petite superficie.

«Nous voulons conserver le site tel qu’il est le plus longtemps possible. » Andy Borroff, garde forestier, n’est pas dupe. Il sait bien que les chênes ne sont pas immortels, fussent-ils de Sherwood. «Certains pensent qu’il suffit de replanter les terres défrichées. Mais ces arbres ont mis des siècles pour grandir. Jamais la forêt ne pourra être reconstituée. » La notoriété du héros légendaire l’a en partie sauvée d’une disparition totale. Le nom de Robin des Bois est vendeur : entre 1984 et 1986, suite à la diffusion sur la BBC d’une nouvelle série télévisée narrant les aventures de Robin of Sherwood, la fréquentation du Country Park a triplé !

 

Fabrice M
Fabrice M
photographe - auteur - artiste contemporain
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